La basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, dite du Vœu national, située au sommet de la butte Montmartre, dans le quartier de Clignancourt du Dix-huitième arrondissement de Paris (France), est un édifice religieux parisien majeur, « sanctuaire de l'adoration eucharistique et de la miséricorde divine » et propriété de l'archidiocèse de Paris.
La construction de cette église, monument à la fois politique et culturel, suit l'après-guerre de 1870. Elle est déclarée d'utilité publique par une loi votée le 24 juillet 1873 par l'Assemblée nationale de 1871 ; le bâtiment est officiellement achevé en 1923. La volonté de construire cette basilique s'inscrit dans le contexte de recharge sacrale et sa construction s'est déroulée dans le cadre de l'instauration d'un « ordre moral » faisant suite aux événements de la Commune de Paris, dont Montmartre fut un des hauts lieux. Sa situation à 130 mètre d'altitude près de l'un des points culminants de Paris, et son dôme qui s'élève à 83 mètres, la rendent visible de très loin. Avec près de onze millions de pèlerins et visiteurs par an, c'est le deuxième monument religieux parisien le plus visité après la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Historique du projet et construction
Montmartre, colline sacrée
Depuis longtemps la colline de Montmartre a été un lieu de culte : paganisme gaulois supposé puis temples gallo-romains dédiés à Mercure et probablement à Mars ; culte chrétien après le martyre de l'évêque saint Denis au 3ᵉ siècle, chapelle surmontant la crypte du martyrium de saint Denis, construction au 12ᵉ siècle de l'église Saint-Pierre, parmi les plus anciennes de Paris, pour l'abbaye royale de Montmartre par le roi Louis VI et sa femme Adélaïde de Savoie. Le nom de la colline de Montmartre vient selon les uns du nom du lieu, Mons Martis (mont de Mars) ou selon les autres de Mons Martyrum (mont des Martyrs). L'église de Montmartre qui s'est substituée aux temples romains a été élevée en l'honneur des saints martyrs saint Denis, Rustique et Éleuthère décapités selon la légende sur la colline et dont une chapelle, située sur le flanc sud de la butte, devait commémorer le lieu traditionnel du supplice, en prenant le nom de Saint-Martyre.
Le mont de Mars a donc pu être réinterprété vers le 9ᵉ siècle en Mont des Martyrs (Mons Martyrum), puis par dérivation populaire en « mont de martre », martre signifiant « martyr » en ancien français. La substitution toponymique du mont païen par le mont chrétien reste cependant hypothétique et la double étymologie (mont de Mars et mont des Martyrs) est encore actuellement traditionnellement proposée. Il faudrait, « pour pouvoir trancher la question, savoir comment le peuple, dans son langage parlé, appelait cette colline avant le 9ᵉ siècle, puisque c'est à cette époque que les documents écrits enregistrèrent le changement de nom ».
Le vœu national de 1870-1871
Dans une lettre adressée aux curés de son évêché nantais le 4 septembre 1870, jour de la déclaration de la Troisième République, Monseigneur Félix Fournier attribue la défaite de la France dans la guerre franco-prussienne de 1870 à une punition divine après un siècle de déchéance morale depuis la révolution de 1789.
Cette lettre a pu inspirer un vœu prononcé en décembre de la même année par le philanthrope Alexandre Legentil devant son confesseur le père Gustave Argand, dans la chapelle du collège Saint-Joseph de Poitiers dont ce dernier était le recteur. Une urne sur une colonne au fond de la chapelle des morts de la crypte rappelait que ce vœu était à l'origine de la construction de la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre.
La forte personnalité d'Alexandre Legentil dans le paysage catholique parisien et ses nombreuses relations permettent au projet d'acquérir une dimension nationale. Avec son beau-frère Hubert Rohault de Fleury, peintre et autre notable parisien, il entame les démarches qui doivent aboutir à la réalisation de la basilique du Sacré-Cœur plusieurs décennies plus tard. Tous deux sont des disciples de Frédéric Ozanam, fondateur de la Société de Saint-Vincent-de-Paul qui « a uni au service des plus pauvres le monde « orléaniste » des affaires de la rive droite au monde « légitimiste » de l'aristocratie terrienne de la rive gauche ».
Selon l'historien Miguel Rodriguez, le concept de vœu est fondamental, en tant que « promesse faite à Dieu ». De la relation spirituelle des mystiques avec Dieu au « vœu national », en passant par la fondation d'ordres se réclamant du Sacré-Cœur ou d'églises du Sacré-Cœur, l'histoire de la dévotion montre que le vœu assumé, vis-à-vis de cette figure, peut être, aussi bien un comportement individuel qu'une manifestation de foi collective : il va associer au 19ᵉ siècle un engagement religieux et des pratiques laïques. Il est pour lui une continuité totale avec le vœu de Louis XIII, de Marguerite-Marie Alacoque au roi Louis XIV et de celui de Louis XVI dans la prison du Temple.
Le vote de l'Assemblée nationale
Les promoteurs de la construction du Sacré-Cœur font appel fin 1872 à l'Assemblée nationale afin que l'église soit reconnue comme étant d'utilité publique.
C'est en effet le seul moyen semblant possible pour acquérir les terrains nécessaires, propriétés de la ville et de nombreux particuliers.
L'Assemblée nationale élue en février 1871 pour élaborer une Constitution compte alors 396 députés royalistes (sur un total de 686 membres) qui sont en grande partie des catholiques intransigeants.
Après des débats houleux, la loi d'utilité publique est votée le 24 juillet 1873 par 382 voix contre 138, tandis que 160 députés se sont abstenus.
Elle offre à l'archevêque de Paris (Monseigneur Guibert) la possibilité de se porter acquéreur des terrains sur la colline de Montmartre par voie d'expropriation si nécessaire : les terrains visés, situés derrière l'église Saint-Pierre, sont occupés par des guinguettes, un champ de foire et des jardinets.
Le choix de ce site fait du futur Sacré-Cœur le bâtiment le plus haut et le plus visible de la capitale, manifestant la vocation ostentatoire du projet. Il est aussi prévu que l'église « sera construite exclusivement avec des fonds provenant de souscriptions » et « sera à perpétuité affectée à l'exercice public du culte catholique ».
Choix de l'architecte
L'architecte Paul Abadie gagne le concours de la construction du Sacré-Cœur. Abadie conçoit une basilique romano-byzantine (avec dôme, clochetons et campanile) en réaction au style néo-baroque.
À sa mort en 1884, il est remplacé par Honoré Daumet (1884-1886) lui-même remplacé par Charles Laisné (1886-1891) qui fait intervenir dans la réalisation de vitraux le peintre-verrier Émile Hirsch.
Puis se succèdent Henri-Pierre Rauline (1891-1904) qui dirige les travaux et Charles Garnier comme architecte conseil, Lucien Magne (1904-1916) et Jean-Louis Hulot (1916-1924).
La souscription nationale
La basilique est majoritairement financée par de très nombreux Français dans le cadre d'une souscription nationale où il n'est pas demandé au fidèle de verser une somme importante mais ce qui lui est possible.
Hubert Rohault de Fleury imagine notamment « la Souscription des Pierres » qui incite les familles, les groupes et les œuvres à fournir la somme nécessaire pour l'achat d'une pierre, d'une colonne ou d'une chapelle, sur lesquels le nom complet, les initiales ou les armoiries des donateurs sont gravées.
Au total, près de quarante-six millions de francs sont récoltés en un demi-siècle par les dons de près de dix millions de fidèles.
Construction
Le 16 juin 1875, l'archevêque de Paris, le cardinal Guibert pose la première pierre de la basilique (un marbre rose de Bouère), non loin de l'ancien moulin de la Galette, d'où le surnom donné à la basilique par le peuple de Montmartre, « Notre Dame de la Galette ». L'œuvre est confiée à la congrégation des oblats de Marie-Immaculée.
Détruite en 1874, la tour Solférino se trouvait à l'emplacement approximatif actuel de la basilique.
Des mois sont nécessaires afin de consolider les fondations : les galeries souterraines, les glissements et effondrements de terrain imposent la construction de 83 puits d'une profondeur de trente-trois mètres et le remplacement de 35 000 mètre cube de terre meuble par leurs équivalents de pierre et de ciment. Remplis de béton et reliés par de puissantes arcatures, ils font office de piliers qui vont chercher la couche solide de la butte sous la glaise,.
Dès le 3 mars 1876, l'archevêque de Paris inaugure à côté des travaux une chapelle provisoire. En 1878 débute l'édification de la crypte et en 1881 celle de la basilique. L'intérieur de la nef est inauguré le 5 juin 1891.
La Troisième République fondamentalement anticléricale veut retirer à l'Église la jouissance de la basilique et la transformer en maison du peuple ou en théâtre.
Dans un souci d'apaisement, le gouvernement Clemenceau fait voter la loi du 13 avril 1908 mettant fin au séquestre du Sacré-Cœur qui « devient propriété de la ville de Paris et ne saurait être désaffecté, sauf nouvelle loi ».
Rauline et Magne conservent le plan original d'Abadie mais ajoutent des éléments néo-Renaissance (formes des fenestrages en plein cintre, dômes élancés).
Alors qu'Abadie a prévu des dômes hémisphériques romano-byzantins, Magne les remplace par des coupoles allongées au style néo-Renaissance, ce qui leur donne une forme ovale.
Ce changement du message architectural d'origine vise à corriger la déformation optique que ressentent les pèlerins sur la parvis de l'église : les coupoles manquent de hauteur, si bien que l'élan vers le ciel disparaît, caché par les soubassements du sanctuaire.
Les vitraux posés entre 1903 et 1920, sont détruits pendant la Seconde Guerre mondiale et remplacés par des vitraux contemporains.
Le campanile (tour-lanterne) qui, avec la croix qui le domine, se dresse à 91 mètre de hauteur est terminé en 1912, mais il faut attendre 1914 pour que l'ensemble de la façade soit achevé.
La consécration de l'église et son élévation à la dignité de basilique mineure, initialement prévue le 17 octobre 1914, est reportée à cause de l'entrée en guerre.
Elle a lieu le 16 octobre 1919, célébrée par le cardinal Vico, en présence du cardinal Amette, archevêque de Paris, et de nombreux évêques, dignitaires ecclésiastiques, membres du clergé, personnalités civiles et simples fidèles.
Le bâtiment est officiellement achevé en 1923 avec la finition de la décoration intérieure, notamment les mosaïques de l'abside.
Les années 1930 voient le début de la construction des annexes, sacristie, bureaux et dortoir pour accueillir les pèlerins.
L'édifice n'est définitivement achevé qu'après la Seconde Guerre mondiale dont les bombardements ont détruit les vitraux. « Au total, le programme a coûté six fois plus cher que prévu et a duré plus d'un demi-siècle ».
Controverses
La construction de la basilique a été très critiquée par les artistes comme Steinlen, Willette, les écrivains Sarcey ou Zola qui y voient un symbole obscurantiste.
En 1904, dans un contexte de tensions exacerbées autour de la question de la séparation des Églises et de l'État, le conseil municipal de Paris, à l'époque en majorité farouchement laïc et hostile à la basilique, récupère 5 000 mètre carré de terrain proche de celle-ci, détenus indûment par l'Archevêché.
Le conseil municipal décide d'ériger à cet endroit, dans l'axe du grand portail du Sacré-Cœur, une statue du chevalier de La Barre, jeune noble français condamné en 1766 pour blasphème et sacrilège, décapité et ensuite brûlé, devenant par suite une figure tutélaire de l'athéisme et de l'anticléricalisme.
La statue, sculptée par Armand Bloch, est inaugurée le 3 septembre 1905 par vingt-cinq mille manifestants.
Un peu plus tard, autre acte politique, la rue de La Barre (l'adresse de la basilique est au numéro 35), devient en 1907, sur décision du même conseil municipal, la rue du Chevalier-de-La-Barre.
En 1926, en signe d'apaisement de la municipalité vis-à-vis du monde catholique, la statue est réinstallée non loin, square Nadar, en un lieu moins directement provocateur envers le Sacré-Cœur.
Elle est enlevée et fondue en 1941. Il faut attendre soixante ans pour qu'une nouvelle statue soit érigée en remplacement square Nadar et inaugurée le 24 février 2001.
Le peintre français Félix Del Marle, proche du futurisme dans les années 1910, publie dans Paris Jour du 10 juillet 1913 un « Manifeste futuriste à Montmartre », dans lequel il proclame : « Il faut détruire Montmartre !! »
Il y précise qu'il en veut bien à la butte, elle-même, pour la remplacer par des gratte-ciels, métropolitains et tramways à coup d'explosifs et d'échafaudages. S'ensuivit une dispute avec un autre futuriste, installé à Montmartre, d'opinions divergentes sur la question, Gino Severini.
Régulièrement, des personnalités politiques de gauche, comme Lionel Jospin dans les années 1990 ou Ian Brossat en 2013, demandent la destruction de la basilique ou sa transformation au nom de la mémoire des morts de la Commune, renforçant ainsi dans l'inconscient collectif l'association entre la basilique et la répression sanglante des communards.
Plus récemment, en 2017, à l'occasion du vote du budget participatif de la ville de Paris, une initiative citoyenne proposée sur Internet demande « la démolition totale de la basilique lors d'une grande fête populaire » car « le Sacré-Cœur est une verrue versaillaise qui insulte la mémoire de la Commune de Paris ».
En 2020, une nouvelle controverse prend forme. La commission régionale du patrimoine et de l'architecture d'Île-de-France examine, en vue d'une protection monument historique, le dossier du Sacré-Cœur, et rend « un avis favorable unanime pour une inscription au titre des monuments historiques et a émis à l'unanimité un vœu de classement ». À cette occasion, beaucoup découvrent que ce monument d'un intérêt majeur pour l'histoire de l'art et de l'architecture du Dix-neuvième et du 20ᵉ siècle et figurant parmi les symboles de la ville de Paris, n'était pas protégé. L'inscription au titre des monuments historiques est effective en octobre 2020. Le classement, qui aurait dû aboutir en 2021, est quant à lui retardé car la gauche (socialistes, communistes et écologistes) s'y oppose en raison du lien supposé existant entre ce monument et la Commune et en raison de la célébration, cette même année, des 150 ans de la Commune. Néanmoins, l'adjointe au patrimoine de la maire de Paris, Karen Taieb, annonce que le classement devrait se faire,, en octobre 2022.