L'opéra Garnier, ou palais Garnier, est un théâtre national qui a la vocation d'être une académie de musique, de chorégraphie et de poésie lyrique ; il est un élément majeur du patrimoine du Neuvième arrondissement de Paris et de la capitale. Il est situé place de l'Opéra, à l'extrémité nord de l'avenue de l'Opéra et au carrefour de nombreuses voies.
Il est accessible par le métro (station Opéra), par le RER (ligne A, gare d'Auber) et par le bus. L'édifice s'impose comme un monument particulièrement représentatif de l'architecture éclectique et du style historiciste de la seconde moitié du 19ᵉ siècle. Sur une conception de l'architecte Charles Garnier retenue à la suite d'un concours, sa construction, décidée par Napoléon 3 dans le cadre des transformations de Paris menées par le préfet Haussmann et interrompue par la guerre de 1870, fut reprise au début de la Troisième République, après la destruction par incendie de l'opéra Le Peletier en 1873. Le bâtiment est inauguré le 5 janvier 1875 par le président Mac Mahon sous la Troisième République.
Cet opéra a été appelé « opéra de Paris » jusqu'en 1989, date à laquelle l'ouverture de l'opéra Bastille, également opéra de Paris, a influé sur son appellation. On le désigne désormais par le seul nom de son architecte : « opéra Garnier » ou « palais Garnier ». Les deux opéras sont aujourd'hui regroupés au sein de l'établissement public à caractère industriel et commercial « Opéra national de Paris », institution publique française dont la mission est de mettre en œuvre la représentation de spectacles lyriques ou de ballet, de haute qualité artistique. L'opéra Garnier est classé monument historique depuis le 16 octobre 1923.
Historique
Concours pour un nouvel opéra
Le 14 janvier 1858, Napoléon 3 est visé par un attentat, rue Le Peletier où se situe la salle d'opéra Le Peletier. Des républicains italiens, dirigés par Felice Orsini, jettent plusieurs « machines infernales » dans le cortège et la foule qui l'entoure mais le couple impérial est miraculeusement épargné, malgré huit morts et près de cent quarante-deux blessés. La construction d'une nouvelle salle dans une grande rue moins propice aux attentats est décidée par l'empereur, au lendemain même du drame, pour la construction d'un nouveau grand théâtre digne de Paris. Le projet est déclaré d'utilité publique par arrêté impérial du 29 septembre 1860 . Pour certains historiens, Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc semble à l'origine de l'idée d'un concours, craignant l'attribution du projet et la direction du chantier à Charles Rohault de Fleury, architecte ordinaire de l'Opéra et donc logiquement destiné à réaliser cette nouvelle commande. Selon l'avis d'autres spécialistes, ce sont Napoléon 3 et surtout son épouse, l'impératrice Eugénie, qui souhaitent écarter Rohault de Fleury pour favoriser Viollet-le-Duc.
Toujours est-il que le concours, pour l'édification d'une « Académie impériale de musique et de danse » attendue depuis cinquante ans, est organisé et annoncé dans un second arrêté du 29 décembre de la même année 1860. L'usage voulait que l'on fasse appel à un architecte désigné. Le préfet de Paris, Haussmann, en urbaniste intransigeant, propose une parcelle exigüe et mal adaptée à ce projet.
L'événement est tel que les Parisiens et la province suivent le déroulement de la compétition et attendent impatiemment le résultat.
Charles Garnier (1825–1898) est premier grand prix de Rome en 1848. C'est toutefois un jeune architecte n'ayant pas encore fait véritablement ses preuves sur un projet de grande envergure. Ambitieux et secondé de confrères et nombreux amis de l'École des Beaux-Arts, pour partie d'entre eux qui sont également lauréats de la même distinction, il remet un projet innovant dont les châssis portent le numéro 38 et une devise — les projets devant rester anonymes — qui résume assez bien le caractère de son auteur : « J'aspire à beaucoup, j'attends peu ».
Le jury est présidé par le prince Walewski, fils naturel de Napoléon premier et de la comtesse Walewska. Ce serait Alexandre Colonna Walewski qui serait à l'initiative de ce concours selon Pierre Pinon. Il est confié à ce groupe d'experts la lourde charge d'examiner, en cinq sessions éliminatoires, les dessins des cent soixante et onze candidats.
Le 30 mai 1861, Charles Garnier est proclamé vainqueur à l'unanimité : sa proposition esthétique et d'une haute technicité surprend et séduit le plus grand nombre. Il réunit plusieurs styles harmonieusement agencés qui agrémentent aussi bien élévations et décors intérieurs.
Les principales critiques vont porter d'abord sur l'extérieur et sa succession de volumes distincts qui expriment les emplacements de la salle de spectacle, de la cage de scène et des bâtiments administratifs qui se devinent aisément et le tout s'enchaîne en une composition aussi érudite qu'évidente. Plans, coupes et façades sont d'une grande clarté, et le rapport de grandeur inhabituel entre le volume de la salle et celui de la scène et de ses dispositifs scéniques étonne. A l'intérieur du théâtre, les pourfendeurs du projet s'emportent face aux abondantes dorures du grand foyer et de la salle, les jugeant dispendieuses : « Trop d'or ! Trop d'or ! » (il s'agit en fait la plupart du temps de peintures dorées et non d'or pur) ; le restaurant du glacier n'existe pas, le pavillon de l'empereur déchu, ses rampes, écuries et remises n'ont plus d'usage, la bibliothèque musicale n'est pas aboutie ; les remarques désobligeantes ne manquent pas.
Charles Garnier, architecte et auteur, explique dès 1871 les tenants et motivations de son projet dans son livre Le théâtre. Il publie également en 1878 ses conclusions après l'inauguration et répond aux nombreuses critiques : Le Nouvel Opéra de Paris 1878 (vol.1/2) puis en 1881 Le Nouvel Opéra de Paris (vol. 2/2). Il publie également Le Nouvel Opéra de Paris - Estampe 1/2 et Le Nouvel Opéra de Paris - Estampe 2/2. Quatre autres publications suivent : La sculpture ornementale, Les peintures décoratives, Statues décoratives et Bronzes. Précédemment, en 1869, Garnier avait publié A travers les arts . Dès l'inauguration de l'Opéra a paru Le Nouvel Opéra de Paris Le monument - les artistes. L'archiviste en titre, Charles Nuitter, a fait paraître en 1875 Le Nouvel Opéra.
Le jour de l'inauguration du Palais qui porte son nom, Charles Garnier est promu officier de la Légion d'honneur. L'Académie des Beaux-Arts lui rend hommage en 1899.
Inauguration provisoire de 1867
Une première inauguration a lieu le 15 août 1867 pour la seule façade principale, achevée jusqu'aux mascarons, guirlandes et bas-reliefs les plus délicats de la frise de l'attique. En effet, à l'occasion de l'Exposition universelle de 1867 et à la demande de l'empereur, ce morceau de bravoure si attendu est inauguré bien avant que le reste de l'ouvrage ne soit terminé. L'impératrice Eugénie commenta : « Qu'est-ce que c'est que ce style-là ? Ce n'est pas un style !... Ce n'est ni du grec, ni du Louis XV, pas même du Louis XVI. » et Charles Garnier de répondre : « Non, ces styles-là ont fait leur temps... C'est du Napoléon 3 ! Et vous vous plaignez ! »
Inauguration de 1875
Les travaux sont interrompus en raison de la guerre franco-allemande de 1870. Les bâtiments inachevés sont réquisitionnés pour y entreposer des vivres pour les militaires et de la paille pour les chevaux. La défaite de Sedan, en 1870, provoque la chute de l'Empire, l'occupation militaire de la capitale et conduit à l'épisode de la Commune de Paris de 1871. L'avènement du gouvernement provisoire de Thiers, puis de la Troisième République, ne change rien à la situation. Si, dans un premier temps, les difficultés économiques de la France ne permettent pas de poursuivre les dépenses excessives engagées pour le futur opéra, c'est ensuite et surtout pour le symbole qu'il représente et l'embarras qu'il crée au sein des nouvelles élites que l'on hésite à prendre la décision d'achever la commande d'un régime discrédité. On ne sait que faire, sinon renvoyer Garnier et continuer à utiliser la salle de la rue Le Peletier.
Le 28 octobre 1873, le vieil opéra de la rue Le Peletier — qui servait d'opéra provisoire à Paris depuis 1821 — est détruit dans un incendie. L'architecte est rappelé pour achever le chantier du nouvel Opéra ; mais il peine pour réunir ses collaborateurs dispersés, les entreprises et tous les artisans qui viennent de traverser une période d'incertitude. Des déconvenues surgiront : l'augmentation du coût des matières premières, la disparition d'artistes laissant des modèles inachevés, des plans non respectés entraînant des conséquences décoratives irréparables.
L'inauguration a lieu le mardi 5 janvier 1875 en présence du président de la République Mac Mahon, du lord-maire de Londres, du bourgmestre d'Amsterdam, de la famille royale d'Espagne et de près de deux mille invités venus de l'Europe entière et d'ailleurs. Le programme comprend :
- l'ouverture de La Muette de Portici d'Auber ;
- les deux premiers actes de La Juive de Halévy avec Gabrielle Krauss dans le rôle de Rachel ;
- l'ouverture de Guillaume Tell de Rossini ;
- la scène de La Bénédiction des poignards des Huguenots de Giacomo Meyerbeer ;
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La Source, ballet de Léo Delibes.
Charles Garnier aurait été invité (les sources divergent sur ce point). Il doit payer sa place dans une seconde loge. Cet incident, particulièrement regrettable et d'ailleurs raillé par la presse de l'époque — « une administration faisant payer à l'architecte le droit d'assister à l'inauguration de son propre monument ! » —, exprime un rejet des nouveaux gouvernants envers ceux qui, de près ou de loin, ont servi l'empereur déchu, mort en 1873, et l'habituelle ingratitude des puissants envers les artistes.
Le 7 février, c'est le bal masqué et travesti de l'Opéra, événement annuel du Carnaval de Paris, il rassemble huit mille participants. La dernière édition de ce bal, créé en 1715, s'y déroulera en 1903.
En octobre 1896, à l'occasion de leur visite en France, le tsar russe Nicolas II et son épouse Alexandra se rendent à l'opéra, où ils assistent à une représentation en compagnie du président de la République Félix Faure. À leur sortie place de l'Opéra, vers minuit quinze, une foule nombreuse acclame le couple impérial.
Composition architecturale et distribution des bâtiments
Intentions et sources d'inspiration
Charles Garnier, tout comme ses devanciers Jacques-Germain Soufflot (opéra de Lyon) et Victor Louis (Grand Théâtre de Bordeaux et salle Richelieu pour la Comédie-Française), déploie une architecture spectaculaire. Il souhaite ériger un monument d'inspiration éclectique, obéissant ainsi à la mode de son temps, les façades de son théâtre lyrique devant offrir un spectacle permanent au piéton de Paris. Son œuvre, qui deviendra l'un des exemples les plus célèbres du style propre à la période Napoléon 3, révèle un tempérament aux penchants multiples et une attraction particulière pour l'art baroque. Si l'architecture de Garnier réunit plusieurs styles, c'est pourtant le baroque, très en vogue dans les constructions théâtrales, qui prévaut.
En fidèle admirateur de Victor Louis et tout en reprenant les caractéristiques essentielles de la salle Le Peletier, les sources d'inspiration de l'architecte sont, en dehors du Grand-Théâtre de Bordeaux, les palais italiens de la Renaissance tardive qu'il a eu le loisir de remarquer durant son séjour à la Villa Médicis. Sa période estudiantine et ses voyages méditerranéens le portent de manière évidente vers le respect des règles et des ordres architecturaux et autres subtilités de l'art du « Siècle de Périclès ». Pour Hugues Gall, ancien directeur de l'opéra Garnier, « Victor Louis est l'architecte à l'origine de toute la conception qu'a développée Garnier. Le Grand Théâtre de Bordeaux l'avait fasciné... avec l'idée de grand salon d'entrée, celle des loges et des corbeilles... ».
Plan et ses dispositions principales
Garnier tient à superviser lui-même la conception des moindres détails des bâtiments. Il dit avoir pensé au parti de Michel-Ange pour le plan de la basilique Saint-Pierre de Rome, concevant et dessinant ses propres plans architecturaux. Le parti obéit à une symétrie rigoureuse à laquelle doivent se plier, dans une grande majorité des cas, les grands programmes traités par les praticiens sortant de l'École des Beaux-Arts de Paris.
L'ensemble possède une emprise au sol de 12 000 mètre carré et une surface dans l'œuvre totale de 58 000 mètre carré (la plus grande du monde à l'époque, et ce jusque dans les années 1970), 172 mètre de long, 101 mètre de large et 79 mètre d'élévation. La vaste salle de spectacle peut recevoir environ 2 000 spectateurs. Une maquette en coupe longitudinale, (L 5,78m - H 2,40m - P 1,10m, ci-dessous en haut à droite) exposée au Musée d'Orsay a été réalisée en 1986 par Richard Peduzzi qui a choisi de reproduire l'Opéra selon les plans originaux de Garnier.
Choix des matériaux et des techniques
L'architecte surprend par la diversité des matériaux utilisés. Il use, en effet, d'une décoration éclectique, parfois chargée, mais toujours fastueuse et élégante. À l'extérieur comme à l'intérieur, le jeu de la pierre d'Euville aux nuances blondes, des marbres de couleur et des parties recouvertes d'or souligne la qualité du dessin et des proportions et offre à l'œil averti une profusion de détails architectoniques. Pour expliquer ce choix d'une grande diversité chromatique, Garnier prétend qu'il veut aller à l'encontre de « la tristesse de l'urbanisme haussmannien ».
Admirateur des techniques utilisées par son devancier Victor Baltard, l'architecte utilise le fer et la fonte partout ; la partie des structures, tels certains piliers, tous les planchers maçonnés et toutes les charpentes sont en métal. Les poutres de longue portée sont composées de métal en lames assemblées par rivetage, mode de construction en plein développement dans la seconde moitié du 19ᵉ siècle. Les parquets visibles sont assemblés sur lambourdes scellées au bitume sur des sols incombustibles. La salle de spectacle, contrairement à ce que laisse paraître son habillage, est à la base un volume constitué d'un assemblage métallique qui supporte les charges de ses différents niveaux. Si Garnier reconnaît les possibilités nouvelles apportées par ce matériau, il n'en goûte cependant pas l'aspect et le cache soigneusement sous la pierre, le plâtre, le stuc et tout autre procédé de décoration appartenant à la tradition classique. Il ne se sert du métal que pour les aspects pratiques qu'il peut lui apporter : facilité et rapidité de mise en œuvre, légèreté.
La pose de câblages et l'électrification intégrale du bâtiment quelques années plus tard est facilitée par les conduites de gaz qui avaient été prévues dès la construction pour alimenter les éclairages (les grandes torchères, par exemple).
Toitures et couronnements
Le grand dôme central est couvert de cuivre qui, une fois oxydé, prend une couleur verte. Autrefois, les dômes des deux pavillons étaient également couverts de même, aujourd'hui ils sont en zinc, comme les autres toits de l'édifice. Certaines décorations des dômes couvrant les deux pavillons latéraux sont en plomb. La lanterne du grand dôme est en cuivre repoussé, doré. Garnier avait projeté de dorer les cotes et nervures de ces trois dômes mais cette proposition déjà en cours a été abandonnée à la reprise du chantier en 1870.
La façade est surmontée par les Renommées, deux groupes réalisés par Charles Gumery, l'Harmonie (à gauche) et La Poésie (à droite). Ces statues d'une hauteur de 7,50 mètres, ont été restaurées et leur structure interne, en fer, a été remplacée par de l'inox. Leur dorure d'origine avait été réalisée par galvanoplastie dans les ateliers de l'entreprise d'orfèvrerie Christofle. L'entablement de l'attique est couronné d'une frise en fonte peinte avec un vernis doré, une suite de masques alternés de guirlandes, œuvre du sculpteur Jean-Baptiste-Jules Klagmann. Le fronton de la cage de scène est orné de deux acrotères (est et ouest) identiques, La Renommée retenant Pégase (par Eugène-Louis Lequesne), cependant que le sommet reçoit l'ensemble formé par Apollon couronnant la Poésie et la Musique, d'Aimé Millet. Ce groupe, haut de 7,50 mètre et d'un poids de treize tonnes, fait office de paratonnerre ; il est en bronze naturel, seule la lyre étant dorée ; il a été sculpté directement sur le chantier par Millet, puis réalisé en six mois en 1869 par l'atelier Denière, et enfin assemblé en deux mois au sommet de l'Opéra en 1870.
La Ceinture de Lumière
L'extérieur de l'opéra est entouré par soixante luminaires variés, qui fonctionnèrent au gaz jusqu'en 1954. L'ensemble comprend : les lampadaires, les cariatides (du jour et de la nuit, selon leur position sur les façades latérales est et ouest, sculptées par Louis-Félix Chabaud), les candélabres, les colonnes pyramidales en marbre fleur de pêcher, les colonnes rostrales et les colonnes impériales en marbre bleu turquin. Certains luminaires n'avaient pas pu être réalisés en bronze, comme le souhaitait Charles Garnier, c'est donc simplement une fonte cuivrée qui en constitue la matière.
Depuis 1990, certains éléments ont été étayés en raison des fortes vibrations provenant du sous-sol (métro) et de la circulation automobile, puis des socles de pierre ont été changés et des balustrades endommagées ont été entièrement restaurées à l'identique, tout comme les colonnes impériales (dont le marbre provient d'une carrière italienne rouverte pour l'occasion). Cette restauration a été financée par un large mécénat organisé par l'AROP et célébrée le 28 juin 2016.